mardi 8 janvier 2013

Jean-François Wallon, conscrit en l'An 13

Une armée est un étrange chef d'oeuvre de combinaison où la force résulte d'une somme énorme d'impuissance. Ainsi s'explique la guerre, faite par l'humanité contre l'humanité, malgré l'humanité.
( Victor Hugo - Les Misérables - Deuxième partie, Livre Deuxième -III )

L'Histoire, parfois,  se confond avec la vie des petites gens et les entraîne sur des chemins improbables...
Un de mes ancêtres a suivi, malgré lui, ces chemins qui l'ont mené jusqu'au Royaume de Westphalie, contrée lointaine et éphémère et a transformé sa vie :

Jean-François Wallon (sosa 40) voit le jour le 18 mai 1784 à Athies sous Laon (02).
A 20 ans, il mesure environ 1m57. Il a les yeux gris bleus, les cheveux et les sourcils blonds. Son visage est légèrement marqué par la petite vérole.

La conscription l'enrôle dans le 32e régiment d'infanterie de ligne (3e bataillon, 6e compagnie) le 11 Floréal An 13 (1er mai 1805).


SHD Vincennes 21 Yc 282

Il est fusilier, puis tambour.

°Sa solde s'élève à 0,30 centimes (fusilier) ou 0,40 centimes (tambour) par jour qu'il touchera après la bataille et de façon aléatoire. 
A l'époque, on exprimait la valeur des centimes en "sous" (1 franc valait 20 sous).

1*) Le 32è R.I est constitué par les conscrits de l'Aisne. Basé à Montreuil, puis à Etaples, il constitue un des maillons de l'armée d'Angleterre. Finalement, il part vers l'est et traverse le Rhin.
Il fait partie du 6e corps d'armée - Maréchal Ney puis du 1er corps d'armée - Maréchal Bernadotte.
Il participe à diverses campagnes : Autriche en 1805, Prusse en 1806, Pologne en 1807 ; plusieurs batailles dont celle de Friedland sous le commandement de l'Empereur.
Le régiment se couvre de gloire à plusieurs reprises ! Ce n'est pas un hasard , si on le surnomme "l'Invinsible".

Le 1er mai 1808, Jean-François déserte l'armée et est rayé des contrôles pour longue absence... A- t-il déjà rencontré sa future femme, Anna Konjetzky ? Déserte-t-il pour elle ?

*)A la même période, le 32è R.I est appelé en renfort pour la campagne d'Espagne.

Anna est une jeune prussienne d'environ 23 ans, originaire de Silésie.

Elle met au monde leur premier enfant le 5 mai 1809 à Schweidnitz (aujourd'hui : Swidnica - Pologne) : Marie Louise Victoire Thérèse.
Pierre Joseph Hilaire (sosa 20), leur premier fils naît le 26 mai 1810 à Coennéré - Royaume de Westphalie (aujourd'hui Könnern - Allemagne) .

Jean-François est rattrapé par la maréchaussée. Il intègre le 48e régiment d'infanterie de ligne ( 2e bataillon, 4e compagnie) le 7 juin 1810 après avoir été amnistié.


SHD Vincennes 21 Yc 412


2*)Ce régiment fait partie de l'armée d'Allemagne - 3e corps d'armée - Davout - basé au camp de Kirtschen en 1809 et au camp de Magdebourg jusqu'en juillet 1811 avant de participer à la campagne de Russie.

Mais avant d'être réincorporé, il épouse Anna le 6 mai 1810 à Schweidnitz.

Le 5 avril 1812, il est muté au 7e bataillon de Vétérans (6e compagnie) à Brest. Il y arrive le 29 septembre de la même année.
 
SHD Vincennes GR 19 Yc 127


 3*) Les vétérans sont affectés au service des places fortes ou des batteries côtières. Ils touchent une solde et portent l'uniforme militaire.
En 1800, on compte : 12 500 hommes - En 1814 : 10 000 hommes.

En Bretagne, Anna accouche de leur 3e enfant : François, né le 8 décembre 1813.

Jean-François obtient son congé absolu le 21 Novembre 1814.

La famille traverse la France, d'Ouest en Est, et s'installe à Athies s/Laon.

Trois autres garçons viennent agrandir la fratrie : Auguste Désiré, né le 26 Mai 1816, mais il meurt  en 1821 à 5 ans ; Marcel né le 5 Février 1820 et Jules Victor Onésime né le 2 avril 1823.

Pour subsister, Jean-François et Anna sont manouvriers/chiffonniers.

Jean-François décède le 26 Juillet 1832 à l'âge de 48 ans. Anna lui survit 32 années. Elle disparaît à son tour le 10 avril 1864 à 78 ans.

Pendant une décennie, Jean-François, comme des milliers de soldats,  a arpenté une partie de l'Europe et vécu une épopée difficilement appréhendable : les batailles, les sacrifices, les marches forcées, la misère, la faim....
suivi par Anna et les enfants (comme beaucoup de femmes et d'enfants d'alors, qui ont suivi leurs maris et leurs pères au gré des batailles) : cela est déconcertant, voire inconcevable,  pourtant... 

Là où il y a des femmes subsistent quelques vestiges d'humanité, noblement vêtus de compassion.
                                                                                                 (Romain Guilleaumes - Salmigondis - 2009)





 °Les soldats d'empire au quotidien de Jean-Pierre Mir - Editions Archives & culture
1*Historique du 32è régiment d'infanterie de ligne de 1775 à 1890 - SHD Vincennes- 4 M 42
2*Site : darnault-militaires.info/  
3*Histoire et dictionnaire du Consulat et de l'Empire - A.Fierro, A.Palluel-Guillard - J.Tulard




7 commentaires:

  1. Etonnant destin que celui de cet homme que rien ne destinait a priori à parcourir l'Europe et de trouver sa femme aux confins de l'Empire !

    Que d'histoires à raconter à ses enfants, à moins que, comme les rescapés de la Grande Guerre ou les survivants de la Shoah, il se soit muré dans un silence rendu nécessaire par l'intensité de ce qu'il avait vécu et que personne ne pouvait comprendre ...

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  2. Bravo Evelyne, pour ce récit et pour les recherches qui l'ont précédé. J'attendais avec impatience un nouvel article sur votre blog et je suis servie. C'est passionnant d'étudier l'histoire à partir des aventures de ses ancêtres.

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  3. Bonjour et merci pour ce blog. Je le découvre avec un grand interêt car j'ai moi aussi un ancêtre qui en 1812 était caporal au 7ème bataillon de vétérans à Brest ( ils sont peut être croisés!). Comme je sais qu'il était déjà soldat à Valenciennes en 1792 j'aimerais reconstituer sa carrière militaire. Comment avez-vous obtenu copie des registres du SHD? Plusieurs visites à Vincennes ont-elles été nécessaires? Comment procéder? Quelques infos seraient les bienvenues...Un grand merci d'avance.
    EDITH

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    1. Bonjour Edith,
      Tout d'abord, je vous remercie pour l'intérêt porté à mon blog et à l'article sur J.F Wallon.

      Effectivement, je me suis déplacée plusieurs fois au SHD Vincennes pour effectuer mes recherches (5 ou 6 visites). Je n'avais pas beaucoup de renseignements hormis les actes de naissance des enfants, dont un né à Brest où il était stipulé l'appartenance de J.François au 7è bataillon de vétérans.
      J'ai donc reconstitué sa carrière militaire en commençant par la fin.

      Si vous habitez la règion parisienne, il vaut mieux vous déplacer à Vincennes pour consulter les registres d'enrôlement (vous avez le numéro de cote sous les photos jointes)
      Il faut prendre R.V pour consulter les documents en salle de lecture.
      (Voir site internet SHD Vincennes)

      j'éspère avoir répondu à vos interrogations, n'hésitez pas à me recontacter au besoin.

      Cordialement

      Evelyne



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  4. Votre aïeul est allé plus loin que le mien, qui n'avait pas dépassé l'Italie ! Son parcours est bien documenté et bien raconté. Apparemment on était moins sévère avec les déserteurs sous le Ier Empire qu'en 1914-1918.

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    1. Merci Jean-Michel !
      En 1810, les déserteurs n'étaient redevable que d'une amende. Il n'y avait plus assez d'hommes pour les fusiller pour l'exemple.

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